[TERMINE]Tu connais les trous de souris ? |Kieran

« Merde ! On va être a la bourre ! »

M’exclamais je soudainement en sautant sur mes pieds, bousculant sans le vouloir le cahier sur lequel j’avais laborieusement écrit des lignes de syllabes. Laborieusement certes, mais toute étaient gravées dans ma mémoire. Si Kieran était patient, moi j’étais attentive, même si j’avais un mal de chien a m’habituer a sa promiscuité. Ma mémoire m’aidait a apprendre vite et même si cette fois je n’eus qu’une demi heure d’écriture, tout ce que j’avais fait était retenu. Une demi heure oui, parce qu’avant, on avait parlé du livre qu’il m’avait laissé. J’en étais au premier quart, soit deux chapitres. J’avançais lentement, ânonnant parfois sur les mots et je devais louper le sens général par moment, aussi avais je interrogé Kieran a peine avait il posé un pied dans mon appart. Pour moi, ce bouquin était une allégorie de la mort, la rendant plus douce, moins terrifiante, du moins je crois, mais il était difficile d’en être sûre ! Toujours est il que l’heure était passée vite et que maintenant, on risquait d’être franchement a la bourre, chose que je ne pouvais me permettre. Max comptait sur moi et, franchement, ça faisait quelques semaines que je n’avais pas joué, cela me démangeais.

Je ne savais pas comment c’était démerdé Kieran pour avoir l’aval de sa sœur mais toujours est il qu’il me confirma sa présence. Je filais dans la salle de bain, ôtait mon pull en veillant bien a avoir fermé la porte de mon petit espace baignoire avant d’enfiler un débardeur me descendant presque a mi cuisse et un sweat a fermeture éclair par-dessus. Deux minutes plus tard, casquette fichée sur la tête, j’entrainais Kieran vers une bouche de métro, louvoyant entre les gens anonymes qui en sortait ou y entrait comme nous. J’avais l’habitude de me mouvoir dans la foule et cela se voyait. Je frôlais sans jamais heurter, esquivant avec une sorte de grâce étrange, embarquant Kieran dans mon sillage et enfin, nous débouchâmes dans la station proprement dite. Je m’enfilais dans la queue pour prendre un ticket avant de me tourner vers Kieran.

« Ta sœur est cool de t’avoir laissé venir. L’Under est dangereux mais pas si tu en connais les règles, avec moi, ça roulera sans prob ! »

Fis je avec un clin d’œil, piétinant presque sur place tant l’excitation de la soirée a venir me tordait les entrailles. Bizarre. D’ordinaire, jouer m’excitait oui, mais pas a ce point. D’un bond, je me remis face au dos du guguss devant moi avant de…

« Oh merde ! »

Oui, mon œil venait de capter la présence de deux flics accompagnés d’un gentil animal a quatre pattes. Chiotte ! Un chien renifleur ! J’avais pas de bol ! Ce foutu clébard était foutu de sentir mon pauvre paquet d’herbe a trois mètres a la ronde ! Hors de question de se faire choper !

J’attrapais la manche de Kieran en murmurant entre mes dents.

« J’espère que tu sais courir…Surtout tu me suis. »

Ni une, ni deux, je détalais subitement alors même que le chien émettait un aboiement sonore, en direction des tourniquets bloquant les accès aux quais. J’avais la carte du métro gravée dans la tête, les horaires, les lieux dangereux, d’autre moins. Je savais exactement où j’allais. Mes mains se posèrent de chaque coté du tourniquet et, prenant appui sur les bornes, je passais par-dessus les barres de fer avec souplesse. Un coup d’œil en arrière m’apprit que Kieran me suivait, tant mieux ! J’étais assez petite mais plutôt rapide et habituée a la fuite et je me demandais un instant si Kieran pourrait suivre mon allure. Je zigzaguais entre deux petites mamies, passais entre un jeune et son mec, empêchant celui-ci de lui rouler une pelle d’ailleurs avant de sauter sur les rails. J’entendis plusieurs cris derrière moi, horrifiés pour la plus part…Pfff…Comme si j’étais suicidaire ! J’avais exactement 3 minutes pour arriver là où je voulais aller. Les cailloux sur les rails était un vrai piège a cons ! Mais j’en avais l’habitude. Je courus deux ou trois mètres et soudainement, je virais a droite, comme avalée par le mur. Kieran faillit même passer tout droit sans me voir, heureusement que je m’y attendais, l’attrapant par le bras avant de l’attirer dans le renfoncement creusé sur deux mètres. Merde ! En fait, deux mètres c’est pas énorme quand on est coincée avec un type dans le noir !

Essoufflée, je comptais…1…2…3…4…5…Le métro passa subitement avec son torrent de bruit, de lumières blafarde nous éclairant par intermittence. Les flics viendraient jamais nous chercher ici, je le savais d’expérience et un léger sourire ombra mes lèvres…

« Sont toujours aussi cons. Ca va ? »

Ouais, il avait du avoir la trouille de sa vie en fait…

Blue faillit me faire sursauter quand il se leva d'un bond, comme un diable jaillit de sa boite. Je n'avais pas fait attention à l'heure. Je jetai un coup d'œil à ma montre. Ah oui, le temps avait passé vite. Trop vite. Blue était un élève intéressant et intéressé. J'avais découvert un esprit fin et analytique, brut, mais présent. J'étais certain qu'il aurait fait un carton dans les matières littéraires, lors des analyses de textes. Son écriture était encore maladroite, mais un poil plus assurée. Plutôt que de photographier les mots, j'avais opté pour lui apprendre le B.A-BA. Pour qu'ensuite, il puisse lire tout et n'importe quoi, au lieu de buter en cherchant des mots qui ressemblaient et pas déduction. Il avait donc fallu lui apprendre à raisonner autrement, mais Blue n'était pas obtus. Loin de là. Et il m'avait accueilli en me parlant du livre que je lui avais laissé, qu'il lisait doucement. Je trouvais qu'il avançait même vite étant donné ses difficultés et son manque de temps. Ça faisait plaisir et je comprenais mieux les professeurs qui appréciaient que leurs élèves soient attentifs. C'était gratifiant. Nous avions donc discuté pendant une bonne demie heure de ce qu'il avait comprit et de mon propre ressenti, avant d'attaquer l'écriture.

Résultat, nous étions à la bourre.

Ce soir, comme promis, j'allais assister à un concert de Blue. Sorcha ne pouvait pas m'empêcher de sortir indéfiniment. Je lui avais exprimé mes sentiments, comme rarement auparavant. Elle avait peur pour moi, mais je lui avais assuré que je ne ferais rien d'idiot. Pas de plongeon dans la Tamise, pas de mélanges détonants. Pas de drogue dure. Blue s'éclipsa pour se changer, alors que je me levais. Je portais un jean noir, un débardeur tout aussi noir et un blouson en cuir. Si Blue affectionnait de porter des tailles trop grandes, pour ma part, je préférais les fringues plus prêts du corps, sans être ultra moulantes non plus.

Je suivis donc Blue dans les rues de Londres et surtout, dans son métro. Là, je lui faisais entièrement confiance. Je n'avais même pas le temps de me repérer. Blue filait, évitant agilement les passants et moi, je tentais de suivre, n'ayant pas sa corpulence, ni son agilité. Je fus soulagé quand nous nous retrouvâmes dans la file d'attente pour un ticket, cela me permettait de souffler et de tenter de m'orienter.

- "C'est marrant quand même que j'ai besoin de son autorisation, je suis l'aîné et je suis majeur..."

Mais à la façon dont Blue m'en parla, il semblait évident que c'était Sorcha qui décidait. Désespérant. Même si j'avais expliqué à Blue notre relation étrange et donc le pourquoi du fait que je l'écoutais, au lieu de l'envoyer proprement chier. Si nos parents avaient encore été là, je n'aurais pas prit de telles précautions avec ma sœur, c'était évident. Blue se mit alors à jurer et je le regardais surpris, avant de regarder autour de moi et de voir la police avec les chiens. Il m'attrapa alors la manche, me demandant si je savais courir. Je faillis dire que non, je ne pouvais plus courir, surtout pour la course poursuite... Je le lui avais avoué déjà, mais il avait du oublier. Il semblait désireux d'échapper aux flics. Il transportait donc de quoi le faire arrêter.

Il détala et je le suivis. C'était con, je n'avais rien sur moi et on aurait pu se retrouver plus tard. Mais je le suivais. Parce que je voulais oublier que je ne pouvais plus faire certaines choses. Parce que c'était excitant de fuir la loi. Je suivis donc la menue silhouette de Blue, sautant à sa suite au dessus des tourniquets. Mauvaise manœuvre, je sentis la douleur exploser dans mon genou en atterrissant par terre, mais je l'ignorai. Je ne devais pas perdre Blue du regard. Pas évident, parce qu'il était petit et il allait vite. Je bousculais les personnes que nous croisions quand Blue les évitait. J'hallucinais en le voyant sauter sur les rails. Pourtant je le suivis. Nouvelle douleur quand j'atterris sur les rails. J'espérais que la course s'achevait parce que là, je boitillais méchamment. Sauf que Blue n'était plus en vue. Oula, c'était quoi l'embrouille? On me tira alors par le bras et je me retrouvais dans un petit espace avec Blue justement. Je posais mes deux mains à plat de chaque côté de la tête de Blue, tournant le dos aux rails et baissant la tête pour reprendre mon souffle. Le flot d'adrénaline reflua et c'est là que je sentis toute la violence de la douleur dans la jambe. Et merde.

Le métro passa, nous éclairant par intermittence, comme un kaléidoscope. Blue reprit la parole, mais je ne relevais pas la tête. Est-ce que ça allait? Non, pas vraiment. Ça aurait été tripant si je n'avais pas été à moitié handicapé.

- "Ça fait aller."

Je pris une grande inspiration. Ça ne changeait rien, j'avais un mal de chien et j'étais bon pour boiter pendant au moins deux jours. Et prendre des trucs contre la douleur. Genre un petit joint.

- "J'approuve ce que tu disais l'autre fois : t'es vachement rapide. Et agile. Je ne t'aurais pas suivi plus loin."

Le silence était retombé.

- "Tu crois qu'on peut sortir de là maintenant?"

« Tu veux pas qu’elle s’inquiètes s’tout. Y a rien d’honteux la d’dans. »

Répliquais je en haussant une épaule désinvolte. Elle devait flipper la frangine quand même, mais si il restait avec moi, ça devrait bien se passer. Je connaissais les pièges de l’Under pour y être tombée plus d’une fois, avec plus ou moins de casse d’ailleurs. C’était un monde beau et terrifiant, parfois glauque, parfois enchanteur, tout dépendait de ce que vous aviez dans les veines.

Sauf que là tout de suite maintenant, je l’embarquais dans une course poursuite visant a défier la loi en place. Super comme soirée tranquille nan ? A la faveur d’un rapide coup d’œil derrière moi, je l’avais vu me suivre et quelque part, j’en étais étonnée, parce que quand je décidais de fuir, en général, je ne le faisais pas a moitié et me chopper était littéralement impossible.

M’enfiler dans les tuyaux du métro directement sur les rails parut horrifiant aux pauvres gens qui trainaient sur le quai, mais non, je nous envoyais pas a la mort, je savais exactement où j’allais, sauf que sur le coup, je faillis perdre Kieran étant donné qu’il passa tout droit. Heureusement qu’il ne courait a plein régime, sinon, il m’aurait embarqué avec lui dans son élan alors que j’accrochais son bras.

Seulement…Je n’avais pas prévu de me retrouver coincée contre le mur dans un espace d’à peine deux mètres sur deux quoi ! Mais restons zen…Sauf que le métro se décida a passer subitement me donnant conscience de la position de l’irlandais au dessus de moi. Il me dominait facilement de deux tête, enfin, une et demie, si j’avais pu reculer, je l’aurais fait dans la seconde. Il était trop proche. Je déglutis avec un rien de difficulté au vue de la sécheresse soudaine de ma bouche avant de fermer deux secondes les yeux, fort heureusement qu’il ouvrit pas les siens sur le coup.

On se calme, on se calme. Je lui demandais si ça allait et au vu de sa réponse, oui. Sauf que…

« T’sais que tu as le visage vachement expressif ? T’es fait mal ? »

Non parce qu’a travers les lumières flashy du métro, je l’avais bien vu son expression. En même temps, je n’avais pas de mal, j’avais le nez a quelques centimètres du sien. Je fouillais dans mes poches a la recherche de mon briquet, il faisait aussi noir que dans un four tout à coup me donnant une impression étrange d’étouffement. Enfin pas tout a fait ça, ce n’était pas désagréable quelque part, mais j’avais une envie terrible de fuir a nouveau. J’actionnais le briquet et une petite flamme orangée fit son apparition, jetant sur nous une lumières fragile et blafarde.

« Faut attendre quatre minutes environ et on pourra sortir l’air de rien. »

Réussis je a dire en essayant de regarder ailleurs, histoire de ne pas rester bloquée sur son visage. Pas sur que je sois convaincante sur le coup. Finalement, je posais une main sur sa poitrine et le repoussa légèrement , j’avais vraiment l’impression de manquer d’air bordel !

« Seulement, j’suis pas sure que tu puisse faire le sens inverse tout d’suite. On va attendre un peu. »

- "Quoi?"

Je rouvris les yeux et les plongeai dans ceux de Blue. Ah oui, il venait de me demander si ça allait. Pas vraiment non, mais je minimisais. Sauf qu'apparemment, mon expression m'avait trahi.

- "Et toi, tu as une bonne vue dans le noir."

Oui, parce que là, on ne pouvait pas dire que la lumière était aveuglante. Sans doute que celles du métro avaient suffi. En attendant, j'avais un mal de chien et j'avais déplacé mon poids sur mon autre jambe pour soulager celle qui me faisait souffrir le martyr.

- "Tu te souviens ce que je t'ai dis l'autre fois, au bord de la Tamise? Je me suis déglingué le genou et la course n'est pas très recommandée. Alors pour être honnête, oui, je me suis fais mal."

Je pris une ample inspiration, avant de frapper du plat de la main sur le mur en jurant en gaélique. Si bien que cela sonnait très mélodieusement alors que je disais des horreurs. Je jurais parce que j'avais mal et parce que j'en avais marre de ne plus pouvoir faire tout ce que je voulais, de me retrouver à souffler comme un bœuf, à souffrir pour une petite course alors qu'avant, j'aurais suivi Blue les doigts dans le nez. Et puis cette promiscuité me dérangeait. Il se dégageait de ce gamin quelque chose qui me dérangeait. Je l'avais déjà remarqué avant, mais là, ça me mettait carrément mal à l'aise.

Encore 4 minutes à attendre là dedans. La fragile flamme de son briquet nous éclaira subitement et je clignais des yeux surpris. Sa main se posa sur ma poitrine et il me repoussa. Je me collai contre la paroi du mur et me laissais glisser à terre, en grimaçant, avant de masser mon genou.

- "Si tu attends que ça aille mieux, on ne fera pas le chemin en sens inverse avant deux jours tu sais."

Je soupirai et rejetai la tête en arrière, m'appuyant contre le mur en fermant les yeux. Je n'avais pas la place pour allonger mes jambes, ce qui aurait été préférable, mais bon.

- "T'aurais pas un truc pour me détendre? Ça guérira rien du tout, mais au moins, je le ressentirais pas."

Je jetais un coup d'œil à mon portable.

- "Tu vas être en retard avec tout ça."

Non, j’avais juste le nez collé presque contre le tien, pas difficile de voir…Mais là, j’avoue, j’ai pas osé le dire. Je me suis contenté de hausser une épaule l’air de ne pas y toucher et de ne rien dire. Et là, BAM ! Bordel que j’étais conne parfois ! Comment j’avais pu oublier un truc pareil ? Sur le coup, je dois dire que je ne me sentais pas a l’aise, vraiment pas. Quelle idiote ! Je sursautais légèrement lorsqu'il frappa le mur et retint même un commentaire parlant du pot d'os contre le pot de béton coupée par..euh...Il chantait ? Je papillonais des paupières dans la pénombre, me demandant si c'était du lard ou du cochon mais je repoussais mes questions a plus tard, me rendant compte de ma grade bêtise du jour.

« Ah merde… »

Soufflais je en cherchant quoi dire d’autre mis a part un pathétique désolé qui n’aurait rien changé a la situation présente. Situation qui commençait a s’éterniser d’ailleurs et je n’aimais pas spécialement cette sensation diffuse d’étouffer, de me sentir…écrasée mais, étrangement, ce n’était pas désagréable…Mais foutrement chiant, alors je le repoussais, non sans avoir allumer mon briquet. Penser que la lumière arrangerait les choses était une belle connerie, elle jetait sur son visage des ombres qui était loin de le rendre repoussant. Bordel ! Il pouvait pas ressembler a un troll ?! C’était trop demander !?

« Ben en fait, faut passer entre deux métro et ils sont espacés de quatre minutes… »

Je me grattais la tempe alors qu’il s’était écroulé par terre, cherchant a étendre la jambe. Impossible dans un tel espace, finalement, je m’accroupis a mon tour, réfléchissant au meilleure moyen de décoller d’ici…Mais en fait, ce n’était pas le trajet en lui-même qui me faisait flipper, c’était plus la remontée sur le quai. Bravo Blue, tu avais eu une idée géniale ! J’eus un demi sourire en tournant la tête alors qu’il me demandait si j’avais un truc pour le détendre. Un massage ? Arg…Enfin, je voyais où il voulait en venir et je sortis l’objet qui nous valait d’être coincés sous terre dans un putain de renfoncement aussi large qu’un trou de souris.

« J’ai. »

Fis je simplement en lui tendant le briquet avant d’ajouter :

« Tiens, éclaire moi, sinon, je verrais pas c’que j’fais. »

Je pouvais être douée pour rouler, le faire dans le noir presque total, fallait pas rêver ! Je sortis donc de mon petit sac deux feuilles a rouler, un filtre blanc et quatre graines. Je préférais l’herbe au haschisch, question de qualité surtout et puis, quelque part, je me disais que c’était plus sain qu’une savonnette coupée au plastique quoi ! Belle façon de se soulager la conscience non ? Je finis juste avant que la seconde rame de métro ne nous éclaire a nouveau tout en nous rendant sourd au passage.

« Mmh ? Ah, s’pas grave. J’aime pas être a la bourre mais bon, Max comprendra t’façon, c’est rare que j’sois en retard et pis, j’peux pas te laisser là tout seul, j’m’en voudrais si tu développais la trouille du noir. »

Riais je en lui tendant le joint tout en penchant légèrement la tête.

« Si j’ai quelques minutes de r’tard, s’pas la mort, dommage que j’fasse pas quelques centimètres de plus en long et large, j’t’aurais soutenu mais là…autant demander a un cure dent d’porter un éléphant… »

- "C'est rien. Y'avait urgence."

Je ne lui reprochais pas d'avoir oublié ça. Franchement, je lui en avais parlé comme ça, pas pour qu'il s'en souvienne. Et j'aurais très bien pu refuser de le suivre et le laisser filer seul. Non, j'avais eu envie de ce petit moment d'interdit, d'insouciance. Je le payais le prix fort maintenant, mais ça finirait par passer. Blue alluma son briquet, nous éclairant et je remarquai ses traits délicats alors que les ombres se disputaient la lumière sur son visage d'enfant. Un visage qui était beau, bien qu'indéniablement pas viril, même pour un gamin de 14 ans.

Je hochais la tête quand il m'expliqua que le métro passait toutes les 4 minutes. Cela restait dangereux quand même. Je m'assis par terre, essayant de trouver une position qui me soulagerait. En vain. Je me demandais bien comment on allait faire. Enfin, comment moi, j'allais faire. Je lui demandais alors de quoi me détendre et atténuer la douleur. Cela me permettrait de marcher et sortir de là, sans ressentir la douleur. Évidemment, dans quelques heures, je risquais fort de ne plus savoir marcher, mais chaque chose en son temps.

- "Excellente nouvelle. Je m'en doutais remarque, tu n'aurais pas fui les flics sinon."

Je m'emparai de son briquet et l'allumai, l'éclairant alors qu'il préparait le pétard avec dextérité. Nouveau passage du métro. Assourdissant. Je luis fis alors remarquer qu'il serait à la bourre. Ce qui ne l'inquiétait pas. J'eus un petit rire désuet quand il parla de développer la peur du noir. Ce n'était pas du noir dont j'avais peur, mais des ténèbres. Et des voitures. Je montais dedans, je savais conduire, mais jamais sans une boule dans le ventre.

- "Manquerait plus que ça."

Je pris le pétard et j'en inspirais une latte, soupirant d'aise. Ça allait aller mieux. Quelques minutes, le temps que ça agisse et j'allais me détendre. Mes sensations seraient engourdies.

- "Sympa de me comparer à un éléphant, je ne sais pas si je dois en être vexé."

Je souris, montrant que je ne me froissais pas le moins du monde.

- "T'inquiète. J'arriverais à remonter sur le quai. j'ai de la force dans les bras et une jambe qui fonctionne encore bien."

Puis, avec une note d'humour noir, je lâchais :

- "Ou je passerais sous le métro. Rapide, indolore, y'a pire."

Si Sorcha était là, elle me giflerait pour avoir eu une telle pensée et avoir osé la proférer. Je n'étais pas suicidaire mais parfois, j'étais las de tout ça. Un accident était si vite arrivé.

« Bah, ils m’auraient pas enfermé a vie pour ça, j’ai pas énorme mais autant éviter de passer une soirée au poste, imagine la tête de ta frangine… »

Fis je concentrée sur mon pétard qui roulait habilement entre mes doigts. De toute façon, j’avais une grande souplesse au niveau des mains, alors autant que ça serve a autre chose parfois que manier des baguettes. Baguettes qui risquaient fort de me filer sous le nez ce soir, mais tant pis. Max me pardonnerait sans prob de toute façon alors je rassurais Kieran a ce sujet et pis si je devais me passer de jouer…C’était pas la mort. Je finis mon joint et le lui tendit sur une plaisanterie débile, je pouvais l’avouer. Mais ça le fit sourire…

« T’a qu’a faire un mètre soixante tu verra, tout le monde te paraitra aussi gros qu’un pachyderme. »

Souriais je tranquillement en posant un coude sur mon genoux tandis que ma main se mettait a jouer avec les cailloux sur le sol prêt de mes pieds. Bon, je réfléchissais a comment revenir a la surface quand il répondit a une question que je n’avais pas encore posé m’otant une épine du pieds d’ailleurs.

« Au pire j’te filerais un coup d’épaule et avec ma chance, tu t’étalera sur le quai… »

Pouffais je en imaginant la scène qui serait, disons le franchement comique dans un sens. M’enfin, manquerait plus qu’il se pète le nez sur le bitume et je crois qu’il aurait gagné sa soirée ! Par contre, mon regard quitta les rails pour se poser sur lui alors qu’il me balançait une blagounette débile et…comment dire, plutôt cynique dans le genre. Je savais qu’il plaisantait…n’est ce pas ?

« Finir étaler sur les parois dégueulasse du métro, c’est sur, c’est glorieux tiens ! Un superbe puzzle a remonter. »

J’avais un rien d’ironie dans mes mots. Ce n’était pas la première fois que j’entendais quelqu’un se moquer de la mort, de sa mort, comme ça, mais sans doute la première fois venant de quelqu’un qui l’avait frôlée. Moi j’avais cru mourir quinze fois et maintenant, je m’accrochais a ma vie comme une tique sur le dos d’un chien. Je plaisantais rarement sur le sujet d’ailleurs.

«Tu m’ferais presque flippé si j’avais pas déjà eu ce genre de pensées complètement connes. »

Murmurais je en baissant les yeux sur ma main qui jouait avec les cailloux. De toute façon, il ne pouvait pas réellement me voir, trop sombre pour ça, mais si il l’aurait pu, sans doute aurait il remarqué l’air plutôt sombre que j’arborais. Ouais, il m’était déjà arrivé de me dire qu’il était temps d’en finir, que ça servait plus a rien de continuer. A un moment, je crois bien que j’étais devenue suicidaire, par ras le bol, par lassitude, par…épuisement aussi. Crazy m’avait secouée dans tout les sens…Littéralement s’couée j’entends hein ! Et pis c’était passé, comme le temps. Bizarre d’avoir l’impression de se regarder dans un miroir là d’un coup. J’enlevais ma casque, m’ébouriffant les cheveux d’une main.

Ouais, c'était sûr que Sorcha n'apprécierait pas que je me retrouve au trou une soirée. Déjà qu'elle n'appréciait pas que je sorte alors si en plus, j'avais des ennuis et étais coffré pour détention de drogue... Bonjour la crise. Non, il valait mieux éviter. Même si, techniquement, il n'y avait que Blue qui avait de la drogue sur lui. Moi, j'étais aussi innocent que l'agneau qui vient de naître. J'observais Blue rouler le joint avec dextérité. On voyait qu'il avait l'habitude. Sans compter qu'il était batteur quand même, cela devait demander de l'agilité et de la force dans les doigts. Il plaisanta sur nos corpulences respectives et le fait qu'il ne saurait jamais me porter pour sortir de là. Je m'offusquais pour la forme de ses comparaisons douteuses.

- "Grand, je veux bien. Gros en revanche, je me dois de protester."

Cela dit, je le rassurai. J'arriverais bien à me barrer de là et remonter sur le quai. J'avais mal, mais je n'étais ni handicapé, ni impotent. J'avais 18 ans, merde! Je pouvais quand même être capable de faire ce genre de choses encore! J'avais de la force dans les bras. Je n'étais pas aussi agile et souple que Blue, mais je me défendais. J'étais jeune.

- "L'air con."

Quoique je me demandais si un coup d'épaule de Blue pouvait vraiment me faire tomber vu le coton tige. J'en doutais quand même. Mais bon, étant donné que j'avais une jambe hors service, j'étais un brin déséquilibré, donc c'était peut-être possible. Enfin, je n'étais plus à ça prêt. Je ne savais pas si c'était la douleur ou le joint, mais mon humeur était... bizarre. Assombrie. Et mon côté mélancolique ressortait avec force, si bien que je lâchais un commentaire des plus morbides. Qui n'échappa pas à Blue. Et cette fois, il ne fit pas comme si de rien n'était.

- "Pas besoin que ce soit glorieux, je ne suis pas narcissique à ce point."

Juste rapide et indolore. Mais vraiment pas beau. Sorcha ne s'en remettrait pas. Aucune mort n'était mieux qu'une autre, mais certaines étaient particulièrement atroces. Le genre puzzle par exemple. Blue avait raison. Il reprit en disant que je le ferais flipper, si lui-même n'avait pas eu ce genre de pensée débile. Je tournai la tête vers les rails, l'air ailleurs.

- "S'il n'y avait pas Sorcha..."

C'était elle qui faisait le lien, qui m'empêchait de faire vraiment une connerie.

- "Sais-tu ce que c'est que d'être responsable de la mort de ses parents et des mutilations de sa sœur? C'est pas d'être orphelin le vrai problème. C'est d'avoir été la cause de tout ça."

Je me passais une main sur le visage, tirant une nouvelle latte, avant d'ajouter sombrement :

- "Désolé. Je sais pas ce que j'ai. Faut croire que la douleur, le pétard et l'endroit me rendent macabre."

Je soupirai, tiltant alors sur ce qu'il avait dit :

- "Tu es passé par là toi aussi? Et c'est fini maintenant?"

Je ne lui demandais pas de m'étaler sa vie. Mais de savoir que ces idées pouvaient s'évaporer... Je ne savais pas, j'en avais peut être besoin.

Non ça, il était pas gros, j’pouvais pas dire le contraire, je l’avais assez vu et sentit de prêt. Enfin, façon de parler. Pas un poil de graisse, aussi du que le mur dans mon dos. Mais je pouffais parce que ça me faisait penser aux nanas qui panique dès que l’aiguille de la balance bouge un peu, mais évitons de le traiter de gonzesse, j’allais encore le vexer.

Et nous voilà en train d’espérer sortir, je plaisantais un peu, même si je doutais fort de pouvoir le pousser efficacement, mais un accident était vite arrivé paraissait il.

« Un poil ouais, remarque dixit certaines nanas parait que les nez tordus font fureur. »

L’odeur du pétard m’arrivait dans les narines mais je ne le réclamais pas, de toute façon, c’était pas comme si j’étais accro, j’aimais ça ouais, ça me détendait et c’était sans doute devenu un palliatif mais je pouvais m’en passer. La dépendance, j’avais donné, beaucoup trop même. Son humeur devenait bizarre, il ne m’avait pas habitué a autant de…comment dire…de mélancolie ironique ? Enfin, je ne sais pas si l’association de mot était juste mais c’était ce a quoi je pensais sur le coup. Je n’ai pas pu passer a coté, parce que moi, j’m’imaginais pas crever comme ça, voir crever tout court, même si je ne savais pas ce que je serais dans 10 ans. Vu mon peu de bagage certainement pas un ministre d’ailleurs.

« Ouais, sinon, ça aurait été le poison, histoire de conserver ta belle gueule ? »

Y avait du cynisme dans mes mots, même si quelque part, je ne jugeais pas vraiment. Je connaissais ce genre de pensées qui vous traversent et s’impriment durablement parfois. Machinalement, je me mis a jouer avec les cailloux a mes pieds, en faisant ça, j’avais vraiment l’air d’un gosse et dire que dans 6 mois j’étais majeure, combien de temps pourrais je encore me faire passer pour un gamin ?

Il parla de sa sœur mais je ne relevais pas. J’me doutais qu’elle faisait un bon rempart quelque part. Il l’avait dit, il avait autant besoin d’elle qu’elle de lui. Je connaissais un peu ce sentiment parce que je m’étais accrochée a Crazy comme une perdue, pour ne pas me perdre en chemin ou crever comme une merde dans le caniveau. Par contre, sa petite bombe lui attira un coup d’œil surpris. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il disait avoir tué ses parents…J’avais cru comprendre que c’était un accident de voiture..Ou alors, il était au volant ? Ma bouche se plissa en une grimace.

« Non, je peux pas savoir c’que c’est. J’ai jamais eu d’parents, pas d’famille donc j’vais pas te faire l’hypocrite qui dit qu’il comprend, te surinant avec des « mais nan, c’était un accident …c’est aps de ta faute, ect ect ect»…T’façon t’y croirais pas et d’une, ça te gonflerais, de deux et de trois, la culpabilité s’éteint pas avec de belles paroles tout droit sortie d’un film rose bonbon. »

Finis je par dire en haussant une épaule. Franchement, je pouvais pas comprendre cette culpabilité qu’il devait ressentir, j’pouvais pas la soulager non plus. Dire tout et n’importe quoi parce qu’il faut faire semblant de compatir, c’était pas pour moi. Clair que j’étais triste pour lui, sans déconner, c’était un mec bien, il me plaisait, j’aimais sa façon de voir les choses, un peu similaire a la mienne. Ca me faisait chier de le voir comme ça, mais honnêtement…Que pouvais je dire ? Rien alors autant rien dire dans un sens. Il s’excusa et je souris légèrement dans le noir.

« J’te l’ai dis, avec moi, tu dis s’que tu veux ou tu dis rien, comme tu veux, chuis pas un juge t’façon, j’prends comme ça viens. »

Et puis, il me retourna la question. Enfin…façon de parler. J’ai laissé planer le silence durant un moment, des secondes juste bercées par nos respirations avant d’ouvrir la bouche :

« Ouais, j’avais un truc pour m’accrocher. Quand j’ai connu Crazy, j’étais camé jusqu’aux yeux et j’te parle pas de pétards…Ouais, y a des moments, j’me dégoutais tellement qu’finir sous une rame de métro étant plutôt kiffant. Crazy m’a s’coué les puces et m’a forcé a décrocher, quand t’es en manque, t’a juste envie de crever, j’en avais marre, j’voulais juste que ça s’arrête. Crazy m’a pas laché. J’crois que j’ai jamais prit autant de beigne de ma vie d’ailleurs, que t’es mal dans ta chair, s’t’une chose mais ça guérir, ce qu’il se passe dans le ciboulot, c’est un autre problème…Mais il m’avait donné une chance, j’avais juste pas l’droit de la gacher et pis…j’veux toujours lui refiler la monnaie de ses beignes. »

J’avais fini sur un sourire qui devait s’entendre dans ma voix, même si il était doux parce que Crazy…il avait été mon support pendant longtemps et maintenant que j’me retrouvais seule, il me manquait. Une fois par mois, c’était vraiment pas assez mais j’m’en tirais parce que j’lui avais promis.

- "Ouais... Suis pas convaincu. J'avais entendu parler que c'était plutôt les cicatrices qui les faisaient fantasmer. Alors de ce côté là, suis au top."

Le nez cassé non merci. J'étais assez cabossé comme cela pas la peine d'en rajouter. Comme je venais de le souligner, niveau cicatrices, j'avais de quoi faire fantasmer une ribambelle de nanas. Si tant est que cela soit vraiment sexy. Personnellement, je n'étais vraiment pas convaincu, mais bon, allez savoir avec les nanas, elles étaient bizarres.

Mais là, le plus bizarre, c'était moi avec mes propos morbides et suicidaires. Pas de quoi se réjouir. Et la réflexion de Blue me fit tressaillir alors que je le regardais, cherchant à savoir si c'était du lard ou du cochon. Je ne cherchais pas à mourir, mais je ne cherchais pas à l'éviter non plus. Je ne provoquais rien, mais un accident...

- "Pas vraiment. Je cherche pas à me supprimer, tu vois, mais si un accident arrivait... bref, je ne provoque rien, mais n'évite rien non plus. Et je pense surtout à l'image que conserverait ma sœur. Mes parents n'étaient déjà pas forcément en bon état alors si je passais sous une rame de métro..."

Sorcha ne s'en remettrait surement pas. Cela ferait trop de deuils d'un coup. Je ne pouvais pas lui infliger ça. Pour elle, je devais faire un effort. Surmonter ça. Blue se mit à jouer avec des cailloux comme un môme. Je parlai de ma sœur, l'évoquant rapidement, expliquant que c'était elle qui m'empêchait de faire une connerie et de sombrer complètement. je gardais la tête hors de l'eau pour elle. Parce qu'elle comptait sur moi et que je ne pouvais pas être égoïste au point de l'abandonner et de la faire souffrir davantage. Même si ça me tuait lentement.

Pourquoi est-ce que je me confiais à lui? Était-ce la fatigue? la douleur? Le pétard? L'atmosphère confinée et intime? peut-être tout cela à la fois. Mais je lui avouai être responsable de tout cela. Il ne chercha pas à me réconforter, il avait raison, il ne savait pas ce que c'est et je n'avais pas besoin de paroles vides de sens. Juste d'une oreille attentive. Je m'excusai pourtant et parvins à sourire à sa réponse. Ouais, c'était ça que j'aimais, l'absence de jugement et de paroles creuses.

Je me permis une incursion dans sa propre vie privée. Il aurait pu refuser. Je ne forçais en rien la confidence, mais contre toute attente, il se confia à moi, sur son passé de junkie. J'imaginais que cela avait du être difficile. J'avais vu des documentaires, des films, sur la dépendance à la drogue. On devenait une véritable épave et on aurait préféré crever que de rester sevré tellement c'était douloureux. Sauf qu'on en crevait pas finalement.

- "C'est bien que t'ai décroché. Tu méritais pas de crever dans un caniveau... Mais ce n'est pas difficile de continuer à fréquenter ce milieu avec toutes les tentations que ça comporte?"

Par moment, je trouvais que je parlais trop. Sans doute l’obscurité ou un début de confiance, je voulais pas trop me poser la question de toute manière. On prend comme ça vient n’est ce pas. Je collais mon dos au mur, arrêtant de jouer avec les cailloux sur le sol pour n’en garder qu’un que je faisais sauter d’une main a l’autre, m’amusant a le rattraper de justesse, bien que je le rata plus d’une fois, faisait trop sombre. S’éloigner du sujet de la mort me plus même si je ne pus m’empêcher d’y aller de ma petite pensée.

« Ne rien éviter, c’est déjà provoquer. T’façon, j’aime pas penser a ça, ça me file des frissons, je sais bien qu’on doit tous y passer et patati et patata, mais le plus tard s’ra le mieux, j’y tiens a ma vie, même un poil bordélique. »

Euphémisme, ma vie, c’était le parcourt du combattant tiens ! M’enfin, je ne fit pas une morale a deux balles, je savais pas faire de toute manière. Parler de la mort au sens général était plus facile que de parler de la sienne propre, mais toujours est il que l’ambiance sembla s’alourdir un peu, devenir plus sinueuse. Je parlais pas souvent de moi mais là, j’ai tout déballé d’un coup. Bizarre. J’eus un léger rire a sa réflexion. Ne pas mériter de crever dans le caniveau…beaucoup ne le méritait pas mais y sont passés. Paix a leur âme comme on dit.

« Si. »

Si ça l’était. On ne pouvait pas totalement décroché, il restait toujours des relents, des souvenirs. On était bien hein ? Pas de souffrance, l’impression que le monde n’était qu’a nous et puis on se souvenait de la redescente mais si furtivement qu’elle ne restait jamais longtemps dans notre esprit.

« Mais se serait con de replonger, j’en ai trop chier pour en sortir. Maintenant, j’évite mais c’est sur que ça traine toujours mais s’pas en fuyant que j’arriverais a me dire que j’ai réussis. Suffit juste de regarder ailleurs. »

Je soupirais doucement, laissant tomber mon caillou pour fourrer mes mains dans les poches kangourou de mon sweat.

« On décroche jamais totalement de toute façon, y a toujours l’envie, sauf que j’suis une tête de mule. »

Je secouais légèrement la tête, faisant danser les mèches de mes cheveux devant mes yeux.

« C’est facile de parler avec toi tiens. »

Constatation déjà songée mais jamais réellement dite. Ca me surprenait quelque part mais ce n’était pas déplaisant. Sauf qu’être proche de quelqu’un c’était un poil la galère pour moi. J’avais le pompom.

Je me contentai de hocher la tête à son laïus sur la vie. Lui, il y tenait. Comme beaucoup de gens. Mais quand on avait frôlé la mort comme moi, perdu ceux qu'on aimait et qu'en plus on en était responsable, elle n'avait plus tout à fait la même valeur. Si j'avais été un miraculé, peut-être que j'aurais eu cette pensée. Mais j'étais vivant quand mes parents étaient morts, alors que j'étais coupable et que j'aurais du logiquement payer. J'étais très croyant, mais qu'elle était la justice là dedans?

Blue me parla alors de son problème de drogue, et je l'écoutai sans l'interrompre, réellement intéressé. C'était bizarre qu'il se confie ainsi à moi. Nous n'étions pas spécialement proches, même si nous partagions des choses, comme les cours privés que je lui donnais, ou les joints. Ou les pulls trop grands.

Je lui demandai alors si ce n'était pas trop difficile de rester clean avec toutes les tentations qu'il y avait autour de lui. Sa réponse fut sans appel. Si ça l'était. Ouais, j'imaginais que c'était comme trainer un alcoolique dans un bar. Il compléta sa réponse en disant que cela serait trop bête de replonger après en avoir tellement chier et qu'il suffisait de regarder ailleurs, mais pas de fuir. Belle philosophie et jolie preuve de force morale. J'espérais qu'il s'y tiendrait et n'aurait pas de faiblesse.

- "Alors demeure-le. Tu as raison, ce serait con de tout ruiner après tant d'efforts."

Il m'avoua alors que c'était facile de parler avec moi et je lui jetai un coup d'œil en biais. C'était réciproque en fait. C'était facile de parler avec lui aussi.

- "Je te renvoie la pareille."

Un nouveau métro passa. J'en profitai alors pour me lever, non sans grimacer, avant de lancer, songeur :

- "Va peut-être falloir décoller... Sinon, on attend que l'on passe aux horaires de nuit avec moins de métro, mais ça va être long. Et t'auras complètement foiré ta soirée."

Finalement, une partie de ma vie s’échappa de ma bouche. Sans doute la situation ou la pénombre, je n’en savais rien finalement. Mais quelque part, j’étais rassurée de ne pas être seule. Je n’étais pas fière d’avoir été une camée, une loque même. En parler restait difficile mais étrangement, je trouvais facilement mes mots. J’eus un léger rire lorsqu’il me dit de rester ainsi, une tête de mule déterminée a ne plus craquer. Je crois que c’était la première fois que l’on me disait de rester aussi butée alors que bien souvent, on jurait contre ça. Et puis ça sortit presque tout seul. Je dis presque parce que ce n’était pas comme si je n’avais pas été consciente de ce que je disais. Mais je n’aimais pas vraiment ça dans un sens et le contraire dans l’autre. Difficile a analyser, surtout quand l’on en avait pas l’habitude.

Je fus presque soulagée lorsqu’il me dit qu’il serait temps d’y aller, parole que je faillis louper avec la rame qui passa pile a ce moment là. Je me redressais debout, m’aidant du mur et coinçait ma casquette sous mon bras.

« Tu es sur d’y arriver ? 4 minutes Kieran, c’est tout ce qu’on a et si tu le sens pas, ça m’gêne pas d’attendre que ça se calme hein. »

Mais non, il y allait, bon ben si il le sentait…J’le sentais aussi. Je glissais ma casquette sur mon crâne avant de sortir du trou, tête la première en quelque sorte. Quatre minutes, ça pouvait paraitre long comme très court, tout dépendait de la situation et là, j’le sentais plutôt court. Cela dit, je me retins d’accélérer trop fortement pour pas distancer Kieran. Quoique distancé sur 3/4 mètres…Bref ! La lumière blafarde du quai ,nous parvint et si, finalement, Kieran n’eut pas besoin de mon aide pour grimper, moi, je fis subitement demi tour brusquement alors que je me rendais compter que ma foutue casquette venait de se faire la malle. Je me demandais d’ailleurs si elle cherchait pas a me tuer celle là ! Trois enjambées en arrière, une genoux flexion du tonnerre et hop ! Sauf que là, c’était plus quatre minutes, mais juste deux…Résultat, on balance la casquette gênante direct sur le quai, genre les pieds de Kieran qui me regardait comme si j’avais pété un boulon, on accélère et…On s’étale sur le quai 30 secondes avant le passage de la rame. Je me redressais sur mes coudes, ne faisant même pas gaffe aux regards tournés vers moi.

« Fais moi penser a m’la coller sur l’crâne sinon, elle finira par m’faire crever. »

J’avais le cœur qui battait a cent a l’heure, j’avais eu la trouille quand même mais j’affichais un large sourire avant de tendre une main.

« Aide moi, j’ai plus d’pattes. »

- "C'est bon. T'en fais pas, 4 minutes, c'est largement assez. j'aurais tout le temps de me remettre après, une fois sorti de ce trou à rat."

Trou à rat qui forçait les confidences avec un gamin que je connaissais à peine et qui, en plus, me faisait une drôle d'impression. Autant sortir de là rapidement, que je puisse avoir un peu d'air. Je m'étais remis debout, je massais mon genou et ma cuisse, en priant pour ne pas avoir été trop présomptueux. Le pétard m'avait fait du bien, me détendant et j'avais moins mal. Je le payerais dans quelques heures, mais d'ici là, je n'aurais plus besoin de risquer ma vie.

- "Mais là, on a déjà perdu 20 secondes à tergiverser."

Allez, go. Je m'élançais et Blue n'eut d'autre choix que de me suivre. Autant pour la course gracieuse... Je boitais en courant, mais au moins, je ne faisais pas l'escargot. Putain d'irrégularités et en plus, on n'y voyait rien. Je faillis m'étaler une paire de fois, et je fus soulagé quand j'atteignis me bord du quai, me hissant souplement dessus à la force des bras, prenant appui sur ma bonne jambe pour enfin être hors de danger. j'aurais pensé que Blue arriverait avant moi. Et bien non. Il fit demi tour pour aller rechercher sa maudite casquette, la balançant vers moi, avant de se jeter sur le quai et de s'étaler lamentablement sous mon regard médusé et furieux. Il anticipa d'ailleurs assez bien ma remarque acerbe.

- "Putain, mais t'es complètement barge..."

Il me tendit une main et je la saisis, l'aidant à se relever en tirant sans doute plus brutalement que je n'aurais du. Il n'aurait plus manquer qu'il se fasse écrabouiller sous mes yeux tiens. J'avais bien besoin de ça.

- "C'est toi qui vas finir par me faire crever avec tes conneries."

Entre la Tamise et ça... Au secours. Blue vivait dangereusement ou était d'une maladresse incroyable, je n'aurais su le déterminer avec exactitude. Je soupirai alors, soulageant ma jambe douloureuse en prenant appui sur l'autre et en posant la main sur l'épaule chétive de Blue.

- "Finalement, je m'en suis mieux tiré que toi pour le coup."

Je jetai un coup d'œil à ma montre.

- "On y va à ce concert? Ou bien tu as tout organisé pour te défiler?"

Bon, je crois que dans la manœuvre, je m’étais un poil niqué le coude. Super, si j’arrivais estropié, Max allait me décapiter sur place. Je jetais un coup d’œil sur une horloge murale délabrée et soupirait légèrement, bon, finalement, il était pas si tard que ça. On arriverait peut être a l’heure en fait. Je levais les yeux sur Kieran qui était limite en train de m’engueuler et une petite moue contrite se peignit sur mon visage.

« Désolé, c’est un reflexe…S’con comme reflexe je sais. »

Non parce que je n’avais réfléchis, j’avais juste fait demi tour a l’instinct, dans un sens, il avait raison de m’engueuler…enfin, presque m’engueuler. Finalement, je souris plus largement en lui tendant une main, histoire qu’il m’aide a me relever.

« Mais nan, j’m’en voudrais sinon. »

Avant d’avoir l’impression que mon bras venait de s’arracher de mon épaule. Outch, il n’y allait pas de main morte là ! Je fis une petite grimace de douleur mais fermait ma grande bouche. Pour une fois d’ailleurs hein ! Et ensuite, mon épaule droite se retrouva porte-Kieran. Ca me gênait pas mais j’hésitai a passer un bras autour de sa taille, histoire de le soulager. Pas sur qu’il le prenne bien et pas sur que je supporte le choc. Je n’étais pas mal a l’aise avec lui, mais pas a l’aise. C’était bizarre, je ne pouvais pas vraiment expliquer. C’était…troublant en fait. On était pas très proche et pourtant, je suis sure qu’il en savait plus sur moi que Max qui me connaissait depuis deux ans.

« Ouais, s’moi qui est échappé au nez cassé on dirait. N’empêche, force pas de trop…Ta sœur va me buter j’crois bien si tu rentre a moitié foutu. »

Je haussais un sourcil a sa remarque suivante avant de laisser une étincelle amusée traverser mes yeux.

« Ecoute, on a pas fait tout ça pour des queues d’prunes ! Ce serait con de rentrer sagement a la maison, nan, nan, nan, on y va, j’te trouverais un coin tranquille pendant que je jouerais ça t’évitera d’te faire marcher d’sus. »

Parce qu’Angel, c’était pas un p’tit groupe dans notre monde et il y avait a parié que y aurait du monde.

« T’veux que je t’aide a marcher ou pas ? »

Qu’il dise oui ou non, cela m’importait peu. Se faire soutenir par un gosse ça pouvait vexer alors si il voulait y aller tel le vrai, j’allais pas m’y opposé.

« Bon normalement, on y s’ra dans quoi…10 minutes max. Ce soir c’est dans une vieille station presque en ruine, un ancien terminus de métro désaffecté. »

- "Complètement con oui."

Je soupirai en me passant une main dans les cheveux, les ébouriffant davantage au passage. C'était pas la peine de se mettre en rogne contre lui, rien n'était arrivé. Mais la peur rétrospective de le voir se faire écrabouiller sous mes yeux me faisait avoir des réactions assez excessives. Je ne voulais plus jamais être témoin d'une telle horreur et même si je le disais d'un ton plus léger que je ne le ressentais, j'avais une trouille bleue de ça. Je me vengeai donc un peu bassement en me saisissant de sa main et en le relevant un peu brutalement. En même temps, n'avait-il pas mis ma virilité en doute l'autre fois parce que je manquais de force? Je n'étais pas rancunier, mais j'avais bonne mémoire. Au moins lui prouvais-je quelque chose cette fois. Que la douleur ne m'arrêtait pas et que je pouvais soulever son poids plume. J'avais ma fierté. Je n'étais pas irlandais pour rien.

Sauf que ma fierté ne me portait pas et que j'avais quand même besoin d'un léger soutien pour soulager cette putain de jambe qui me faisait un mal de chien. Cela ne faisait même pas un an que j'avais eu l'accident. Normal que cela reste sensible et douloureux. Il faudrait des années pour que ce soit consolidé. Mais je n'avais pas la patience d'attendre autant quand ma jeunesse était maintenant.

- "C'est bon, je trouverais bien un bobard à lui servir. Et même si elle est plus grande que toi, je doute que ma sœur réussisse à te déglinguer."

Sorcha, violente? Ahah... Non, ça ne collait pas du tout avec ce qu'elle était. Il n'y avait pas plus pacifiste. Sorcha était une sainte. Elle mangeait bio, était végétarienne, écologiste... Il m'arrivait de me moquer de ses manies trop parfaites, mais jamais méchamment. Mais à côté d'elle, j'étais vraiment le vilain petit canard. Pas étonnant que mes parents et moi ne nous entendions pas avec une fille si parfaite. Bref, j'avais envie d'assister à ce concert et je chambrai Blue à ce sujet.

- "C'est sympa."

Enfin, me faire marcher dessus. Je faillis lui rappeler que contrairement à lui, je dominais souvent la foule vu que j'étais relativement grand et que j'avais moins de chance de me faire piétiner comme j'étais moins chétif, mais je me retins. Allez, qu'est-ce que c'était que cette manie de vouloir jouer à qui a la plus grosse avec Blue? Ce n'était qu'un gosse. Il me demanda si j'avais besoin d'aide et je me mordis la lèvre, hésitant. En toute honnêteté, oui, ce ne serait pas de refus, mais ma fierté me disait de refuser et de faire le dur. Je la jetai aux orties.

- "Un coup de main serait pas de refus."

Même si ça me tuait de l'avouer.

- "Et ben, allons-y alors. Que je m'assois et ne bouge plus. Ça devrait aller mieux après."

Ou pas. Mais là n'était pas la question.

- "Je te suis."

Parce que je ne connaissais pas le chemin et parce qu'il faisait une béquille assez convenable finalement.

Mouais, même sa sœur était plus grande que moi. Oh pas de beaucoup mais bon. Y a pas a dire, je n’aimais franchement pas être petite mais on faisait avec, j’avais atteint ma taille limite, je pourrais pas aller plus haut. Mais je bougonnais en silence, dans ma petite tête. Petite sœur qui risquait fort de m’arracher la tête si je ramenais son frère adoré en petit morceaux ce que je ne me priva pas de dire, cachant un léger sourire amusé a sa réponse.

« Ouais, adepte de la non violence non ? »

Ouais parce que de ce que je m’en souvenais, elle avait tout a fait le type de la petite bourgeoise, sans que ce soit péjoratif. Juste trop propre sur elle, trop…naïve en fait. Finalement, je me posais la question de savoir si je devais l’emmener ou le ramener chez lui. J’avais pas vraiment envie qu’il reste handicapé pendant des plombes juste pour une soirée débridée quoi…Au pire, je pourrais même me passer de jouer…Non ? Mais en même temps, j’avais envie de sortir avec lui tiens, pas dans le sens où les jeunes l’entendent d’ordinaire hein ! Mais profiter un peu de sa compagnie, ce qui était bizarre, mis a part Crazy, j’avais jamais vraiment cherché la compagnie des autres. Ils allaient et venaient sans que je ne m’en préoccupe mais ça fonctionnait pas comme ça avec Kieran. Donc j’en vins même a lui promettre de le caser dans un coin tranquille ce qui eu l’air de le faire marrer, je voyais pas tellement pourquoi moi mais bon.

Finalement je proposais de l’aider en me demandant si il allait accepter ou pas, mais au moins, il ne se laissa pas guidé par sa fierté c’était cool, fallait savoir demander de l’aide parfois…Dixit la nana qui le faisait jamais. Je glissais donc mon bras autour de sa taille, attrapant son poignet de l’autre main et l’aidait a avancer vers le bord du quai. Je sais pas de quoi on avait l’air sur le coup pour des regards extérieurs et je m’en fichais. J’aimais bien l’aider, j’avais l’impression d’être utile, c’était plaisant. Mais toute bonne chose a une fin et je nous posais sur un banc et renversait la tête en arrière, les yeux rivés sur le plafond.

« S’marrant mais quand je suis avec toi, j’ai l’impression d’enchainer les catas… »

Finis je par dire en riant, ce n’était pas déplaisant, vraiment pas et finalement, une rame s’arrêta devant nous.

« Ah, c’est le notre ! Magnons nous un poil, j’imagine déjà Max s’arracher les ch’veux par touffe là. »

Mais le sourire que j’affichais était plus moqueur qu’inquiet. Max attendrait s’tout, ils trouveraient un moyen de retarder un peu leur entrée, s’pas comme si tout était calculé au millimètre prêt. Les doubles portes du wagon s’ouvrirent devant nous et je réussis a me caser dans un coin. Putain, y avait du monde ! Je dénichais deux siège et poussais Kieran en direction de ceux-ci. Il pouvait pas rester debout moi a la limite, j’voulais bien filer ma place a une p’tite vieille qui me regardait avec de gros yeux larmoyants. Vas y mémé, je resterais debout a coté de Kieran.

« Dix minutes la d’dans, c’est l’enfer la vache…J’oublie toujours que c’est blindé le samedi soir…Tiens, regarde celui là…S’tu savais ce qu’il fait pendant ces nuits a l’Under… »

Pouffais je doucement en désignant discrètement un grand type bien sappé, presque guindé. Un costume trois pièces tendus sur ces épaules…

« Finalement, on sait jamais vraiment qui est qui… »

Ajoutais je en murmurant plus pour moi-même que pour lui.

- "Ouais c'est ça. Pour schématiser, elle est l'ange, je suis le démon."

La gentille Sorcha, la sage Sorcha. Et le vilain Kieran, qui avait tué ses parents, qui n'écoutait rien, qui sortait, buvait, fumait, couchait, se droguait occasionnellement, rongé par le poids de sa culpabilité. C'était très schématique, mais c'était loin d'être faux. Si Sorcha m'avait entendu parler ainsi, elle aurait râlé.

Il fut décida que nous allions nous y rendre à cette foutue soirée. Ce n'était pas très loin, il suffisait d'attendre le prochain métro et nous y serions dans moins d'un quart d'heure. J'étais à moitié estropié et je détestais ne pas avoir tous mes moyens, mais je n'avais pas envie de rentrer tout de suite, loin de là. Tans pis si j'avais besoin de Blue pour marcher, c'était mieux que de boiter davantage et risquer une blessure qui pourrait mettre bien plus de temps à guérir. Autant me ménager. De toutes façons, il était prévu que j'assiste au concert et que je rentre ensuite, pour que Sorcha ne s'inquiète pas de trop. D'ailleurs, il fallait que je pense à lui envoyer un SMS.

Je m'assis près de Blue, sur un des bancs, avant de laisser un petit rire de dérision m'échapper à sa réflexion.

- "Marrant, je me faisais la même réflexion toute à l'heure. Tu crois que c'est un signe? Et comment doit-on l'interpréter?"

Je le regardais, un sourire en coin accroché aux lèvres. Les signes, j'en avais rien à battre. Je n'avais plus grand chose à faire de rien, quand on y regardait de plus près. j'avais déjà traversé l'enfer après tout. C'est vrai que nos rencontres avec Blue étaient toujours mouvementées, mais cela changeait au moins. Un métro s'arrêta devant nous et je me levais, emboitant le pas à Blue, tant bien que mal, me glissant dans le métro bondé. Blue nous dénicha deux sièges, m'en laissant un et cédant l'autre à une petite vieille. Mais qu'est-ce qu'elle foutait dehors à cette heure, aussi? Du coup, Blue était près de moi, me surplombant, pour une fois. Il faisait une chaleur à crever. Je me tortillai pour retirer ma veste, restant ainsi an débardeur, poussant un petit soupir de soulagement en fourrageant mes cheveux d'une main, alors que Blue me confiait qu'un gars bien sous tout rapport était un habitué de l'Under. Mais sa dernière phrase m'interpella, et je répondis à mi-voix :

- "Non, on ne sait jamais. Mais savons-nous seulement nous-même ce que nous sommes?"

Ouais, c'était hautement philosophique, mais a question méritait réflexion. C'était un classique. Ma main était posée sur mon genou, à moitié étendu devant moi, alors que j'observais le monde autour de moi, avant de remarquer que la petite vieille me regardait à la dérobée, se demandant quel genre de jeune délinquant je pouvais bien être.

« On l’interprète pas, s’tu veux mon avis. J’crois pas trop a ces conneries de signes du destin et tout le toutim. J’suis né a Noël moi, s’pas pour autant que j’ai des p’tits lutins qui m’tournent autour en me couvrant de cadeaux… »

Répondis je en riant a moitié. Non en fait, je ne savais pas exactement quand j’étais née, mais le 25 m’avait plus en étant gamine alors je l’avais gardé cette foutue date. Comme ça j’me disais qu’a Noël, tout le monde fêtait mon anniversaire. J’me faisais encore la réflexion parfois même a mon âge et sans illusions. Mais faut dire qu’a chaque fois que j’étais avec lui, il m’arrivait une couille, a croire que je savais plus marcher ou que je perdais en agilité, j’en faisais toujours une, cela dit, ça évitait qu’on s’emmerde..

Je me levais quand notre rame déboula, le laissant faire de même, prête à l’aider si jamais il flanchait, mais vaillamment, il me suivit dans le wagon bondé. Deux secondes plus tard, il était installé sur un siège et moi debout a coté, ma générosité envers une vieille mémé avait remporté la palme, m’enfin, c’était pas comme si j’avais pas l’habitude…Cela dit, c’était chiant, y avait pas de truc pour se tenir là où j’étais, j’en était réduite a écarter les pieds pour palier au petit soubresauts du tram. Je baissais les yeux ( pour une fois hein ) sur Kieran alors qu’il otait son blouson, j’ouvris même la bouche pour lui dire de faire gaffe a bien le garder contre lui, parce que même une mémé ça vole, seulement, pas un mot sortit. Non, non j’avais les yeux fixés sur ses épaules, me faisant la réflexion idiote qu’un débardeur lui allait vachement bien…Mais j’étais pas sensée le mater comme ça, ni même me faire se genre de penser, alors je me grattais furieusement la tempe, un geste qui revenait souvent ces derniers temps, signe de nervosité en détournant précipitamment les yeux. Ils se posèrent machinalement sur un type que j’avais déjà vu. Un gay qui adorait danser dans des cages en tenue SM…D’ailleurs, je fis la reflexion a Kieran agrémenté d’une petite pensée presque philosophique.

Je souris en coin, il ne pouvait tomber plus juste en fait. Même nous on savait pas qui ont était. Pour tout le monde j’étais qu’un gamin paumé, et même moi parfois, je m’oubliais là dedans.

« On peut oublier qui on est ouais… »

Fis je doucement en envoyant un grand sourire colgate a la mémé qui sursauta, prise en faute en marmonnant je ne sais quoi…Et puis soudain, le métro s’arrêta un poil trop brusquement…Résultat, je m’accrochais au premier truc a portée de main et donc le dossier du siège a Kieran…Seulement voilà, emportée par l’élan, je réussis a ne pas tomber par terre, ouais, mais juste a m’assoir sur ses genoux, un bras l’étranglant presque étant donné que mes doigts étaient accrochés a son dossier et l’autre posé sur la cuisse de la mémé. Putain mais ! J’avais la poisse merde ! Je me redressais avant que la mémé ne me fasse une syncope, n'ayant pas d'autre choix que de m'accrocher a Kieran pour ça...Ahum....

« Putain de…. »

Jurais je soudainement pestant contre ce foutu tram qui savait pas s’arrêté normalement..A ma décharge et pour soulager ma honte, le type d’avant c’était mangé un manche de parapluie tenu par son voisin direct dans le bas ventre…ça devait faire mal nan ?

- "C'est moche de naître à Noël, tu n'as qu'un cadeau au lieu de deux."

En même temps, étant donné sa vie, je n'étais pas certain qu'il en ai eu beaucoup des cadeaux. Nous n'aurions jamais du nous croiser. Nous n'étions pas du même milieu, du même monde. J'étais moins bourgeois que Sorcha, ou du moins, je le portais moins sur mon visage ou dans mon attitude, mais je n'étais pas un gosse des rues. Je pouvais faire illusion, mais par rapport à Blue, j'étais vraiment un gosse de riche.

Nous entrâmes dans le wagon, cherchant à nous caser tant bien que mal et je fus surpris par la bonne éducation de Blue qui laissa sa place à une grand mère. Gamin des rues, mais pas mal élevé pour autant. C'était pour ça que je l'appréciais aussi. Ce n'était pas une vulgaire racaille, c'était un gamin élevé à la dure et qui s'en sortait plutôt bien. Qui était déterminé à s'en sortir. Si je n'avais pas eu besoin de m'asseoir, j'aurais moi aussi laissé ma place, mais là, c'était trop me demander. Déjà que l'équilibre était précaire dans le métro, alors avec une patte folle... C'était un coup à me retrouver projeté sur les gens autour de moi à chaque secousse.

Sauf que là, je crevais de chaud. Je me mis à l'aise, roulant ma veste sur mes genoux alors que Blue me regardait, détournant vite la tête ensuite pour attirer mon attention sur un type qui n'était pas ce qu'il semblait être. C'est là que j'en profitais pour glisser une petite pensée philosophique.

- "Des fois, ce serait bien."

Oublier qui on était. Ce qu'on avait fait. Je ne le regardais pas en parlant ainsi. Il regarda la grand mère qui détourna les yeux en marmonnant. Chopée la vieille. Ce n'était pas bien d'observer ainsi les gens. Non, je n'étais pas un délinquant, non, je n'allais pas lui piquer son ridicule petit sac. C'est là qu'il y eu un freinage brutal et qu'en moins d'une seconde, Blue se retrouva sur mes genoux, affalé, tentant de ne pas trop toucher mémé et donc, de me toucher moi. Avant de se relever aussi sec. Il n'était pas le seul à avoir eu des petits soucis d'équilibre, même s'il avait failli m'étrangler.

- "Sérieux, je vais penser que j'ai un mauvais karma."

Non parce que là...

- "T'es vachement maladroit en fait."

Parce qu'à chaque fois, c'était lui qui avait des ennuis.

Le quasi plongeon dans la tamise? Lui.
Les flics au cul? Lui.
La chute dans le métro? Lui.

Moi, je n'avais eu qu'une petite averse et un mal de chien.

- "Et apparemment, je dois être confortable..."

C'était toujours sur moi qu'il tombait ou se rattrapait.

« Ou pas finalement…Parce que si tu oublie, tu ne peux revenir en arrière. »

Serais je toute ma vie obligée de dresser ce foutu rôle que je jouais en permanence ? Je n’en savais rien…Mais ce n’était pas vraiment envisageable et quand bien même…Arrivé a un moment, ce ne serait plus possible. Je savais que cette existence aurait une fin, j’espérais juste qu’elle soit le plus tard possible…Sauf que mes reflexions philosophiques déjà malmenées par un Kieran en débardeur, furent totalement anéantit par un arrêt brusque. Y a pas a dire…je les accumulais et a chaque fois, il était là. De toute façon, c’était de sa faute donc CQFD, j’étais trop occupée a le regarder pour ne pas tilter que l’arrêt arrivait ou même entendre la petite voix qui annonçait la station. En fait, Kieran était mauvais pour ma santé a ce rythme ! Mais je n’étais pas foutue d’expliquer pourquoi. J’avais plein de pourquoi le concernant et pas une seule réponse…Je lui jetais un coup d’œil sournois a sa reflexion…

« D’hab nan, mais faut croire que t’as l’chic pour me faire perdre mes moyens ou alors…ouais, t’as un mauvais karma. »

Non, non, absolument pas consciente des triples sens de ma phrase tandis que j’agitais une épaule ayant encore en mémoire la poitrine de mémé outrée qui marmonnait toujours autant. Bande de hooligans ? C’était bien ce qu’elle venait de dire là nan ?

« Nan, justement, tu l’es pas, t’es trop dur, prend des kilos et ramollis toi, p’tete que tu pourra l’être… »

Non parce que la première fois, j’avais déjà cru m’assommer et y avait qu’a le regarder pour se dire qu’un coup de poing sur ses épaules équivalait a trois doigts cassés…

« Voyons le bon coté des choses, on est loin de s’emmerder mais la prochaine fois, j’irais m’pendre au lieu de laisser ma place a une mémé malpolie. »

Oui, oui mamie, je te parlais, pas le peine de me jeter un regard noir, surtout quand j’y opposais un sourire angélique. C’était ça que j’aimais pas tellement chez les gens, a peine vous avait il regardé que pouf, on était catalogué et là, en l’occurrence, c’était sale petits hooligans…y a quelque années, ça aurait été justifié me concernant mais plus maintenant…j’en avais fini avec les emmerdes et les plans foireux. Je tapotais légèrement l’épaule de Kieran.

« Lèves toi, c’est la prochaine, ensuite, faudra un peu marcher et on y s’ra. »

- "On ne peut pas revenir en arrière de toutes façons. Juste encaisser et avancer. Ou essayer de le faire."

Je détournai le regard, le posant sur la vitre et surtout mon reflet. J'avais un regard mélancolique, surtout en cet instant. J'aurais donné cher pour pouvoir oublier, vraiment. Cela ne m'apportait pas grand chose, sinon que j'avais changé de comportement et étais plus responsable aujourd'hui. Sans compter une trouille bleue de monter en voiture, légèrement handicapante de nos jours. Peur que je domptais et maîtrisais, sans jamais m'en débarrasser totalement.

Le métro freina et je me retrouvai avec un Blue sur les genoux, sans prévenir. Décidément... On accumulait quand même les crasses. C'était à se demander si le tunnel allait pas finir par s'effondrer sur nous tellement nous avions la poisse ensemble. Ce que me fit d'ailleurs remarquer Blue. Mauvais karma, que je lui sortis. Ce qu'il renia d'abord, d'une réponse qui me fit le regarder bizarrement. Comment ça je lui faisais perdre ses moyens? J'eus un petit rire nerveux :

- "Arrête, je vais finir par croire que je te trouble."

Là, j'étais mal à l'aise. Blue serait-il gay? Il avait un comportement si étrange parfois... Quand nous étions trop proches, quand je me déshabillais devant lui, quand il se trouvait sur moi... Il manquerait plus que ça tiens. J'avais rien contre les gays, mais sue l'un d'eux puisse fantasmer sur moi... Non, merci, j'étais à 200% hétéro. Je lui demandais alors si j'étais confortable. Ce à quoi la réponse fut non et cette fois, mes lèvres frémirent, alors que mon regard pétillait de malice. Je me mis à rire devant le double sens de sa réponse. Encore une fois. Il avait le chic pour ça.

- "Mes copines ne s'en sont jamais plaintes..."

La grand mère à côté de nous marmonnait des trucs à moitié incompréhensibles en nous regardant d'un air de chouette effarouchée. Ça non, on ne s'ennuyait pas et j'éclatai de nouveau de rire quand Blue tacla la vieille au passage. Je riais très peu... C'était un son qu'on n'entendait quasiment plus dans ma bouche. Mais avec Blue, je redevenais le Kieran d'avant.

- "Nous ne sommes que des sales petits vandales."

Un sourire amusé recourba mes lèvres alors que je regardais mémé qui s'était tue, dépitée. Furieuse aussi. Aucun respect ces jeunes, vraiment! Et ces vieux qui se croyaient tout permis alors? Blue me tapota l'épaule et m'annonça qu'on descendait à la prochaine station. Je m'étais mis debout, surplombant de nouveau le jeune garçon.

- "Bien chef."

Ce ne serait pas trop tôt en fait. J'avais envie de me poser une paire d'heures. Après toutes ces émotions. Et cette douleur. Me fumer un pétard en écoutant un pote jouer de la musique. Avec un peu de bol, une fille pas trop farouche m'approcherait et je pourrais me détendre complètement.

- "Dis voir. Je me demandais un truc : t'as beaucoup de copines comme Rabbit?"

Kieran 1 – Blue 0….Je venais de me faire avoir comme une bleue ! Bordel ! Plan B ! Je lui jetais un coup d’œil de coté, incompréhensif avant de laisser un sourire en coin fleurir sur mes lèvres…

« J’t’avais pas dis que j’étais un fervent manifestant de la Gay Pride ? »

Ouais, sauf que non. Mais autant le prendre avec humour histoire de détourner son attention de mon foutu lapsus de merde ! Puis j’éclatais de rire en voyant sa tronche.

« Ouais nan, désolé Kieran, tu manque un peu de volume niveau poitrine pour être mon genre…j’espère que tu m’en veux pas hein ! »

Sauf que là, je mentais carrément. En fait, si on regardait bien, je ne lui avait jamais vraiment mentit depuis…Mais là, je pouvais pas dire que je ne venais pas de le faire. Et j’enchainais mes conneries sauf que là, ça semblait plus naturel…Ses copines ? Sur le coup, je ne dis rien, mais intérieurement, je réfléchissais enfin presque. Je n’avais jamais vraiment envisager qu’il eu des copines. Pourtant, c’était naturel enfin, je pense. Je me mis a regarder la mémé, histoire de me donner une contenance avant de hausser une épaule. Connard ! Faisons celui qui passe a coté...

« Elles ont juste pas osé s’tout…enfin, si elles aiment le genre mur de granit…J’y peux rien hein ! Y en a bien qui kiffe le style gamin des rues ! »

Fis je avec un large sourire un brin goguenard, putain mais je faisais quoi là ? J’avais comme l’impression de m’enfoncer dans des sables mouvants en fait. Tu parle que les nanas kiffait le style gamin des rues tiens ! Quoique, je m’étais fait draguer une paire de fois mais j’y avais jamais apporté de l’importance, laissant mon indifférence calmer les demoiselles en chaleur…Je détournais son attention en parlant a la mémé par mot interposés.

« Non, de sale petits hooligans…Sauf que les hooligans, c’est un terme spécifique utilisé pour les supporters anglais de Manchester et perso, je n’aime pas le foot. »

Nouveau sourire éclatant a la mémé, non, non, je ne me foutais pas de sa gueule du tout ! mais finalement notre arrêt arriva et je prévins Kieran qui se leva avec une putain de phrase qu’il aurait pu se la garder quoi !

« Ouais, y en a des tas dans l’Under…En même temps, je vois pas trop ce que tu leur trouve… »

Bougonnais je en me grattant la tempe. Bon, ok, elles étaient facile c’est vrai, mais je voyais pas Kieran se taper tout ce qui bougeait pour un peu que ça ai le cul moulé dans une robe minimaliste…

« M’enfin, moi je fais plus gaffe en fait… »

J’avais jamais fait gaffe surtout….

Je lui jetai un regard interloqué quand il me rétorqua qu'il était un fervent adepte de la gay pride. Arrête, tu me charries là... Quoique, ça expliquerait bien des trucs, même si, si c'était vrai, j'aurais tendance à mettre des cols roulés et des jeans larges en sa présence pour éviter de me faire reluquer par un mec. J'aurais énormément de mal à accepter ça. Mon expression devait être des plus comiques, puisqu'il éclata de rire et continua en disant que je manquais de poitrine pour lui plaire. J'eus un petit sourire en coin, pas tout à fait soulagé, parce qu'il avait instillé le doute en moi.

- "Non, je préfère ça. J'ai rien contre les gays, mais j'aurais du mal à me faire à l'idée que tu puisses me regarder comme un petit ami potentiel. Ça dénaturerait notre relation je pense."

Autant être honnête. Par contre, s'il avait dit ça pour me tester en vue de faire son coming out, je venais de lui couper l'herbe sous le pied et de le faire réflechir à deux fois avant de tenter le coup pour de bon. Parce que oui, je pensais que cela casserait quelque chose entre nous. Peut-être pas définitivement, mais le temps que je me fasse à l'idée. Ensuite, je me montrerais prudent, me demandant sans cesse ce qu'il aurait en tête. Il lâcha alors un commentaire à double sens que je ne manquais pas, le reprenant de volée. Il haussa une épaule, avant de répliquer un truc d'une mauvaise foi sans nom.

- "Sans vouloir me vanter, j'ai une certaine expérience et je connais peu de filles qui n'aiment pas le style musclé, mais bon, les irlandaises sont peut-être différentes des anglaises, je ne peux pas juger, je ne suis pas encore sorti avec une de tes compatriotes."

Mais ça ne saurait tarder, j'avais besoin de sexe, ça faisait un peu trop longtemps que j'étais seul. Je ne cherchais pas une grande histoire d'amour, mais des coups d'un soir. Pas de prise de tête, c'était parfait. Blue critiqua alors la grand mère près de nous et j'entrais dans le jeu sous le regard outré de mémé.

- "Oh mais tu sais, ce terme est tellement banalisé maintenant... On l'emploie à torts et à travers."

Moi aussi j'étais goguenard à présent. Faire chier la vieille chouette était assez délassant et jouissif. On s contentait de peu. Oh si Sorcha avait été là, elle m'aurait enfoncé son petit coude pointu dans les côtes en faisant les gros yeux. Vilain Kieran! Se moquer ainsi d'une pauvre mamie... Bref, l'Under nous attendait et je n'avais pas renonça à mon plan cul de la soirée. Si bien que je m'attirais un commentaire de la part de Blue et haussai une épaule.

- "Ce sont des filles faciles. Tu couches avec, tu la revoies pas, elle te harcèle pas. Ça me convient."

Pour le moment. Non, parce que je n'étais pas non plus un connard qui sortait avec une gonzesse juste pour la lever avant de la laisser tomber comme une merde. J'avais eu des copines plus sérieuses et j'avais été plus romantique et moins primaire, mais en ce moment, ce n'était pas d'une histoire dont j'avais besoin. Ou envie.

- "Ouais, j'ai remarqué. Le décolleté de Rabbit, ou son cul moulé n'ont pas l'air de te faire beaucoup d'effet..."

Alors qu'Aaron et moi avions forcément louché dessus. Nous étions plus vieux aussi... 14 ans, était-ce trop jeune? Non, je m'étais intéressé tôt aux filles, mais Blue n'était pas moi. Le métro s'arrêta encore un peu violemment, mais j'avais attrapé une poignée du plafond, si bien que je ne me cassais pas lamentablement la gueule comme Blue toute à l'heure. Je lui emboitai le pas jusqu'à l'ancienne station, ravi d'échapper à ma vie durant quelques heures.

Ah…Ah…Ah…J’eus un sourire un peu bancal sur le coup. Il était pas contre les gay du moment qu’ils ne s’intéressent pas a lui. Logique. Sauf que moi, techniquement, je n’étais pas gay du tout, mais ça il pouvait pas le savoir évidemment. Et donc, il était temps que je mette en pause le coté féminin de mon cerveau qui buggait a chaque fois qu’il faisait un truc. Ca devenait un poil urgent là. J’avais beau me dire que ça allait passé, que c’était le premier mec a être aussi proche de moi depuis Crazy mais ça voulait pas. J’enchainais les bourdes comme d’autre des perles a un collier de trois kilomètres. Continuons comme ça et j’aurais l’étiquette gay sur le front et une méfiance sans borne de la part de Kieran craignant pour son petit derrière…

« Boarf, moi, ils me gênent pas. Chacun son truc. »

Marmonnais je en détournant les yeux sur la mémé, non sans au passage me tacler moi-même. Je haussais un sourcil a la réponse de Kieran. Je ne pouvais malheureusement pas lui donner tord sur le coup. Les nanas préféraient les mecs musclés et bien foutu. Même moi alors que je ne les regardais généralement pas.

« Ouais, ouais, te vante pas, s’pas parce que j’suis petit et pas épais qu’il faut me faire complexer…S’pas charitable ! »

Bon je souriais largement en disant ça, il n’y avait aucune chance pour que je complexe a ce niveau. Je risquais pas de mener une concurrence acharnée sur lequel de nous deux pouvait lever le plus de nanas.

Mémé taclée, elle nous laissait tranquille, surtout que notre arrêt se profilait. Je ne sais pas comment on en est venu a une conversation sur les nanas mais la réponse qu’il me fit faillit m’étouffer. Pas farouche. Facilement baisable…C’était moi où j’étais un poil déçue ? en même temps, a quoi devais je m’attendre ? Je ne sais pas. C’était son truc si il voulait pas de copine attitrée, si il draguait juste pour coucher et dire bye bye. J’avais pas a juger ça mais je crois que sur le coup, je n’avais jamais été aussi contente qu’il me prenne pour un mec. Si il avait vu que j’étais une fille, j’aurais eu droit a ce genre de truc ? J’aurais été quoi ? une coucherie en plus et c’était tout ? Ouais nan, finalement, c’était mieux comme ça, moi au moins, j’avais autre chose qu’une partie de jambes en l’air…

« Entre nous, des comme ça, j’en vois depuis trois ans…j’crois que ça a perdu de l’effet fraicheur t’vois. Donc ouais, ça me fait ni chaud, ni froid. »

Et ça ne m’avait jamais fait d’effet…Mais fermons là. De toute façon, on parlait plus de ça a peine le pied en dehors du tram. J’eus tôt fait d’entrainer Kieran dans un dédale de couloir glauque et mal éclairé, de le faire passer sous une barrière qui disait « do not cross » et de nous enfoncer joyeusement dans les entrailles de Londres.

Cette fois, c’était dans une station désaffectée que ça se jouait. Il y avait des gravas un peu partout et même un vieux tram abandonnée. Partout du monde, de l’alcool, de la drogue. De toute les ethnies de tout les genres. Le bruit des basses raisonnait a en faire tomber le plafond mais l’ambiance était chaude, électrique. Une scène avait été montée dans le fond, dans les rails plus précisément et j’eus a peine fait trois pas que Max me tomba dessus, ses cheveux longs et noirs balayant son visage. J’avais deux minutes ? Ouais, suffisant.

Je tapotais l’épaule d’un mec qui passait par là, me souvenant plus de son prénom et je lui demandais de conduire Kieran dans un endroit plus ou moins tranquille…Il arriverait a sa débrouiller pour la suite, j’lui faisais confiance et Max m’entraina a sa suite.

J’avais toujours eu un don pour la batterie, pour saisir ce rythme fou. Un don que j’avais faillis perdre dans la drogue d’ailleurs. Mais j’adorais jouer, même si certain vous dirait que ce n’était pas de la musique. J’adorais être ce cœur de la scène sans qui rien ne battait vraiment. J’étais douée, passionnée même, agile aussi parce que des baguettes entre mes doigts, ça devenait magique. J’oubliais carrément tout assise derrière l’instrument. Je connaissais le répertoire d’Angel par cœur et ça, ils le savaient tous. Aucune fausse note, rien, juste une envie de rire extraordinaire, juste une envie de vivre décuplée….Et quand cela s’arrête…J’ai presque l’impression de mourir un peu.

J’étais crevée, épuisée, je transpirais pas mal alors Max me jeta une serviette a la tête sur un pouce levé. Ouais, j’avais bien joué, peut être même plus que d’habitude, puis, il disparu voulant prendre part a la fête alors qu’une platine de dj prenait la suite d’Angel. Ca m’avait toujours fait triper ce phénomène, combien de stard de la musique pouvait se permettre de déambuler dans la salle de concert sans se faire violer / massacrer / harceler ? pas beaucoup, mais ici, c’était différent.

On me tapota la tête en me collant une bière entre les mains, je vis même passer un rail de coke devant mon nez et détournait automatiquement les yeux. Comme un reflexe. Je me demandais comment s’en sortait Kieran et…Et ben il s’en sortait bien si j’en jugeais de sa position actuelle, une greluche sur les genoux, sa bouche sur la sienne et une main baladeuse. Je grinçais un peu des dents c’est vrai. J’aimais pas voir ça, je savais pas pourquoi, ça m’agaçais. Mais j’ai rien dit…Le laissant sa fête personnelle, je crois que j'ai même réussis a le charrier un peu…Je me suis perdue dans la foule avant de le retrouver quelques heures plus tard, prêt a partir…Fallait rentrer…Dommage…

» Le B-A BA | Kieran
» Kieran Cahill
» You hold me right here right now [PV Kieran]
» Parle moi | Kieran
» We need to talk [PV Kieran]